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an essay
for Anglicans Online Où sont
partis tous les Chrétiens ? [This
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Farsi as a PDF.] « Il s’agit là d’une catastrophe majeure, et personne n’en parle » m’a déclaré le Cardinal Walter Kasper, en mai dernier. Ce mois-ci, dans Le Monde des Religions, une revue publiée par le grand quotidien français, Régis Debray, l’ex-« enfant terrible » de Village Voice, faisait la même triste remarque. « Est-ce que personne ne voit rien ? Est-ce que ça n’intéresse personne ? » Et la situation a sauté aux yeux de Rowan Williams, l’Archevêque de Canterbury, lors de sa dernière visite à Bethléem juste avant Noël. Finalement, je l’ai moi-même constaté, lors d’un récent séjour à Téhéran. Où sont partis tous les Chrétiens du Moyen-Orient ? Est-ce que nous nous rendons bien compte en Occident que ces terres du Liban, d’Israël et de Palestine, d’Irak et d’Iran, ces terres qui sont le lieu de naissance de notre foi et le berceau de l’Eglise, sont en train de se vider à un rythme étourdissant ? Et si c’est le cas, cela nous intéresse-t-il ? Quelques faits : Il y a 30 ans, 30% des Palestiniens étaient des Chrétiens. Aujourd'hui, les Chrétiens représentent moins de 1% de la population de Palestine. Quand j’ai visité Bagdad il y a 4 ans, il y vivait environ un million de Chrétiens. Aujourd’hui, il en reste moins de 400 000 et ils s’enfuient à raison de 30 000 par mois. En Iran, les églises arménienne, chaldéenne et catholique romaine ont perdu entre 50 et 90% de leurs fidèles en seulement quinze ans. La situation est pratiquement la même au Liban. Au rythme actuel, il n’y aura bientôt plus de Chrétiens vivant à Bethléem pour célébrer la naissance de Jésus dans leur propre ville, ont remarqué l’Archevêque Rowan et les autres leaders chrétiens britanniques qui l'accompagnaient. Pourquoi ce fait est-il si peu rapporté ? Est-ce tout simplement parce que nous en avons effectivement entendu parler mais que nous nous croyons impuissants à agir ? Et où sont partis tous les Chrétiens ? Cette dernière question est facile à répondre. Pour la plupart, ils sont partis aux Etats-Unis ou en Europe de l’Ouest. L’Eglise chaldéenne, dont le siège est à Bagdad, a deux nouveaux diocèses aux Etats-Unis et un en Australie, ce dernier étant dirigé par l'ancien Evêque de Bassora, récemment chassé de sa ville. Les réfugiés irakiens, parmi lesquels de nombreux Chrétiens, pullulent à Damas, à Amman et dans l’Ouest de la Turquie. Les Iraniens choisissent en majorité l’Amérique ou la France. Il est étonnant de voir que beaucoup d’Iraniens reçoivent de l’aide de Ha’aretz, une organisation juive fondée au début du XIXème siècle pour faciliter l'émigration juive vers la Terre Promise. On serait tenté de penser qu’avec de tels mouvements de peuples, le phénomène serait plus largement remarqué. C’est peut-être de la faute des médias. Peu de journalistes responsables des questions religieuses maîtrisent le sujet. Souvent cela semble être un sujet qu’un journaliste couvre si son entreprise de presse est mal organisée, un peu comme si on demandait à un critique musical de couvrir un match de hockey. La raison en est peut-être qu’entendre parler de Chrétiens qui quittent le Moyen-Orient est peu remarquable parce qu’on suppose que l’Islam était là en premier. Ce qui est faux, bien sûr. A chacun de mes brefs séjours dans cette partie du monde, des Chrétiens me rappellent sans cesse qu'ils étaient là depuis six cents ans lorsque le Prophète Mahomet est né. Sa première épouse, Khadijah, était d’ailleurs une Chrétienne. Cette nouvelle Diaspora coïncide avec la montée du salafisme radical en Egypte dans les années 50. Cette branche radicale de l’Islam est la plupart du temps à la base du terrorisme auquel nous sommes confrontés depuis, et en particulier ces dernières années. Comme tous les fondamentalismes, le salafisme n’a aucun respect de l’Histoire. Au lieu de tolérer les Chrétiens parmi eux, comme il a toujours été de tradition chez les Musulmans, les extrémistes salafistes leur collent à présent l’étiquette de « Croisés » et d’espions de l’Amérique. En outre, les gouvernements corrompus que l’Occident a soutenus ont trouvé pratique de laisser les extrémistes faire beaucoup de bruit afin de détourner le mécontentement du peuple. C’est pourquoi les protections dont bénéficiait la minorité chrétienne ont à des degrés divers diminué ou pratiquement disparu. Face à cette pression, l’attrait de l’émigration n’a fait qu’augmenter. Des histoires de vie plus faciles en Occident arrivent aux oreilles de ceux qui restent. Entre ces histoires et les organisations désireuses d'apporter leur aide, les Chrétiens ne peuvent plus résister à l'émigration. En Irak, bien sûr, tout le monde comprend que le chaos complet généré par l’invasion et l’occupation américaines ait rendu la vie impossible aux Chaldéens, Arméniens, Catholiques et Assyriens et qu’ils fuient en masse le pays. Les Mandéens (qu’on appelle aussi Sabéens), des disciples de Jean Baptiste, sont eux aussi poussés au départ, une deuxième tragédie étant que leur religion est tellement liée à la vie sur les rives du Tigre qu'ils pourraient très bien disparaître complètement. Mais, même hors de l’Irak, dans des situations moins désespérées, les Chrétiens s’en vont. Ceux qui restent continuent à secourir les autres du mieux qu’ils peuvent, dans un contexte qui semble condamné à disparaître. Lors d’un récent voyage à Téhéran, j’ai eu le privilège d’assister au travail remarquable que réalisent les Chrétiens dans cette ville immense en dépit d’un harcèlement permanent et bien que leur nombre diminue rapidement. J’ai visité un centre dans lequel on propose à des jeunes gens des cours en quatre langues : menuiserie, céramique, création de sites web et réparation d’ordinateurs, ainsi que catéchisme et étude de la Bible. J’ai visité un couvent dont l’énorme école qui entoure le grand bâtiment sur trois côtés avait été emparée par le gouvernement (« À eux de payer toutes ces réparations du toit maintenant » m’a dit la Mère Supérieure avec ironie.) [photo 2] Les membres du groupe de trisomie 21 m'ont accueilli avec chaleur. Vêtus de beaux habits, propres, bien nourris et entourés d'amour, ce fut un plaisir de les rencontrer. Il y a aussi une maison de retraite, tenue par des religieuses chaldéennes et des laïques. Soit dit en passant, c’est la seule maison de retraite que j’ai visitée qui ne sentait pas mauvais, et pourtant j’en ai vues beaucoup. La directrice, une Assyrienne nommée Sœur Nora, m'expliqua non sans fierté que leur établissement est premier au classement des maisons de retraite d'Iran. « Croyez-moi, cette place est méritée ! » me dit-elle. « Mais ces gens sont nos maîtres et nous devons les servir avec soin » me déclara-t-elle encore en montrant une pièce pleine de personnes âgées. En plus des fonds qui proviennent de l’Eglise, un groupe de riches musulmanes vient visiter la maison de retraite une fois par an et la soutient financièrement. Une vieille femme gisait dans son lit, percluse d’arthrite, ses doigts déformés se chevauchaient et son visage était grotesquement déformé suite à une opération ratée. Comme tous les autres résidents, elle avait été abandonnée et allait mourir seule, malade et pauvre, avant que la maison de retraite ne l’accueille. On m’expliqua que les deux fils de cette femme l’avaient laissée derrière eux quand ils étaient partis en Occident. « Elle espère toujours la visite de son plus jeune fils, mais elle ne sait pas qu’il s’est suicidé en prison alors qu’il y attendait son exécution. » me dit Sœur Nora (« nora » signifie « lumière ») En disant ceci, elle posa sa main, avec grande délicatesse, sur le visage difforme de la femme, et elles se sourirent. Partager la vie de ces Chrétiens pendant quelques jours fut une sorte de retraite spirituelle, dis-je à mon hôte, l'Archevêque Chaldéen Ramzi Garmou. Il sembla surpris. Mais la vie œcuménique entre Arméniens, les Catholiques romains, Assyriens, Chaldéens et Anglicans est extraordinairement dense. Ainsi les Anglicans, qui en tant que Perses sont les Chrétiens les plus persécutés d’Iran, ont reçu beaucoup d'aide de la part des autres Chrétiens, y compris des prêtres qui célèbrent des offices pour eux. « Nous n’avons pas de temps à perdre en formalités habituelles » m’a dit l’Archevêque Garmou, un véritable saint homme qui a le cœur ouvert aussi bien envers les Musulmans et les Juifs que vers les Chrétiens. Son travail est déprimant. « Il ne reste que les malades, les vieux, les faibles et les malades mentaux. Qui prendra soin d’eux quand tout le monde sera parti ? » m’a-t-il demandé avec tristesse. Quand on ressent encore et toujours la joie particulière et le travail titanesque de ces Chrétiens, si incongrus dans un tel cadre, on peut effectivement croire que l’Esprit Saint ne les a pas abandonnés et qu’il ne le fera pas. Mais qu’en est-il de nous-mêmes ? Nous aussi nous sommes les mains du Christ, comme l’étaient celles de Sœur Nora sur la joue de cette pauvre veuve, car nous sommes le Corps du Christ. Cela ne représente-t-il rien pour nous, ce gigantesque mouvement de frères et sœurs qui se déroule en ce moment et menace de mettre fin, peut-être pour toujours, à une présence de 2000 ans de l'Eglise au Moyen-Orient ? Avant d’agir, il est nécessaire de comprendre la situation et de prendre conscience de ce que nous avons entre nos mains pour pouvoir aider. Tout d’abord, Cher Lecteur, nous avons nos mains pour prier, et vous pourriez ajouter les Chrétiens du Moyen-Orient à vos prières journalières, comme je fais moi-même. Ensuite, vous pouvez vous emparer de votre stylo ou faire un courriel pour demander à votre gouvernement d’agir afin d'endiguer ce flot. Pour finir, vous pouvez chercher à savoir si vous avez certains de ces réfugiés dans votre communauté, et vous pouvez leur tendre la main et les accueillir. Ce sont des Perses et des Chaldéens, des Arabes et des Assyriens, des Turcs et des Mandéens, un riche mélange de peuples anciens dont les ancêtres directs dans la Foi sont les premiers disciples. Nous pouvons en apprendre beaucoup de choses sur le Christ parmi eux. Et un jour, peut-être, nous pourrons les aider à rentrer chez eux, dans ces contrées qui seraient si profondément appauvries par leur disparition, et nous pourrons leur rendre visite à notre tour. Mais tout d’abord, nous devons vaincre notre ignorance. Ensuite nous devons lutter contre notre acquiescence. Et alors, enfin, nous serons prêts pour aider l’Esprit Saint à endiguer cette catastrophe. L'auteur souhaite avoir les appréciations de ses lecteurs. Veuillez bien cliquer sur bppwhalon@aol.com.
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